ARTIST STATEMENT


« Quoiqu’elle donne à voir, et quelque soit sa manière, une photo est toujours invisible ; ce n’est pas elle qu’on voit. »
Extrait « La chambre claire » Roland Barthes

Mes recherches s’articulent autour de la déconstruction iconique, et de la question du pouvoir qu’exerce  l’image photographique  dans nos sociétés contemporaines.

On dit qu’« une photographie dépeint ce qu’elle veut », que son sens peut en être corrompu et qu’elle montre alors une chose et son contraire  malgré son référent. Déconstruire l’image documentaire est devenu un enjeu  fondamental qui repousse les limites du cadre et de la narration. Ce questionnement pose les jalons d’un bouleversement statutaire favorisé par l’avènement de l’ère numérique.
J’ai choisi l’architecture industrielle comme théâtre de monstration du fait de sa dualité avec le photomontage, par la juxtaposition et l’organisation des volumes assemblés en puzzle : silos, citernes, rampes, tapis roulant et fourneaux. Déjà révélée par Bernd et Hilla Becher cette typologie architecturale m’a permis d’appréhender la liberté des formes et volumes posés dans l’espace.

Une usine est un ensemble d’accumulations de modules reliés entre eux, avec l’unique dessein de transformer la matière, pour en produire une autre. Avec  l’élaboration de mes photomontages, je fabrique de vraies fausses photographies d’architecture, je brouille les pistes de lecture et de perceptions, je prolonge la transformation de la matière et de l’image  en opérant une inversion de processus ; l’usine ne transforme plus, mais c’est elle ici qui se transforme,  et l’image ne montre rien qui puisse être l’incarnation d’une vérité tautologique, puisque le sujet a disparu. A l’image du mode de conception industriel qui assemble un produit final à partir d’éléments fabriqués ou élaborés aux quatre coins de la mondialisation, mes constructions, par leurs organisations spatiales, font écho à la poésie de cette métamorphose contemporaine.

Philippe Calandre


POINT DE VUE


Belgica Paradise

Après la série Ghost Stations qui explore les stations-services abandonnées sur les routes nationales (acquise par le FRAC – Fond National pour l’Art Contemporain en 2000), puis Fiction Factories en 2012, l’architecte Jean-Michel Wilmotte découvre son travail et lui offre une carte blanche pour sa fondation vénitienne. De cette rencontre est née la série des îles imaginaires « Isola Nova » présentée en 2014 au Lichfield Studio à Londres puis en 2015 à la Chapelle Royale de Versailles.

Suite à ce périple Vénitien, et honorant désormais l’invitation que lui offre le Hangar sur la ville de Bruxelles, l’artiste pose son regard sur la capitale Européenne.

Fidèle à sa méthode, il sillonne la ville intuitivement, photographie ses entrailles, imbriquant friches industrielles, édifices historiques et contemporains. De ce foisonnement de bâtis architecturaux et urbanistiques, de ce va et vient entre passé, présent et futur, Philippe Calandre s’autorise à déconstruire et reconstruire librement la cité. Il nous invite ainsi à percevoir son étrange alchimie typologique architecturale. Ces images contemplatives ne vont pas sans nous renvoyer parfois aux peintures de l’école romantique du XIXème siècle ou bien même à certaines gravures de Piranèse : son approche si singulière sur Bruxelles nous rappelle à quel point la magnificence de cette capitale emblématique est grande, lorsqu’elle se réinvente sans cesse. Le spectateur reconnaît sans reconnaître. La magie des formes opère. Les 8 premières images de cette nouvelle série : sont présentées pour la première au hangar fois pendant le PBF03.

Delphine Dumont, 2018

 


In Perceptivo

À 1400 années-lumière de notre Terre, dans la constellation du Cygne, le télescope spatial de la Nasa a récemment détecté une planète tellurique dont les calculs confirmant son existence ont établi qu’elle tournait autour de son soleil à une distance qui la rendrait habitable. C’est sur cette exoterre baptisée Kepler 452b que Philippe Calandre a situé quelques-unes de ses dernières compositions architecturales.

Celles-ci forment des utopies : des non lieux, des nulle part au sens premier du terme. Et pourtant ces chimères procèdent de fragments prélevés au réel.

Après avoir longtemps parcouru le globe en photographe, Philippe Calandre a décidé d’organiser désormais de grands voyages immobiles vers les terres ou les cités inconnues que révéleront ses irréprochables photomontages. Puisant ses matériaux de construction dans le stock d’images qu’il a accumulé au cours de ses pérégrinations et reportages, il élabore de très savantes combinaisons où les hybridations fonctionnent à merveille. Comme le héros des Villes invisibles d’Italo Calvino, qui spécule sur « des villes trop vraisemblables pour être vraies », il cherche à faire advenir une réalité augmentée par l’imaginaire. Sa fascination pour les architectures industrielles, dont l’esthétique découle de la nécessité pratique et de l’impératif économique, l’a conduit à concevoir d’étranges complexes usiniers. Hérissés de silos et de cheminées crachotant leurs fumées, parcourus de tuyauteries et d’escaliers inextricables, greffés de passerelles métalliques surplombant des paysages de déserts, ses sites possèdent la beauté des enfers.

Personne certainement n’aimerait se rendre avec plaisir sur ces lieux d’obscurs labeurs — ils sont d’ailleurs vides de toute présence humaine —, mais ils envoûtent par la troublante mélancolie qui s’en dégage. Porté par la liberté de création que lui inspire sa méthode, Philippe Calandre en est venu à inventer ses propres formes, et ainsi à dessiner avec la photographie. Les architectures aux développements géométriques qu’il propose dès lors, les monuments et les cités qu’il a édifiés comme des jeux de construction semblent, par la grâce de leurs structures, une manière de nous souhaiter la bienvenue sur sa planète.

Jean-Pierre Chambon

 


Isola Nova

«Aucune carte du monde n’est digne d’un regard si le pays de l’utopie n’y figure pas»
Oscar Wilde

A la suite de l’exposition «Fiction Factories» en 2012 à la Galerie Esther Woerdehoff dans laquelle Philippe Calandre élabore « en images » des usines fictives, Jean-Michel Wilmotte propose à l’artiste de créer une nouvelle série pour sa galerie Vénitienne.
Après plusieurs voyages à Venise, Philippe Calandre imagine une série d’îles nouvelles, habitées de grandes structures industrielles mêlées à des fragments d’architecture traditionnelle vénitienne. Iles-édifices fantasmées, flottantes entre des clins d’œil à une rassurante iconographie d’époque classique et d’inquiétantes constructions chimériques en devenir de multiplication.

Ces compositions photographiques entre document et collage sont exposées à la Fondacio degli Angeli à Venise du 17 décembre 2013 au 15 Mars 2014.

Cette Venise onirique résulte d’une imbrication d’images de la ville historique de Venise, la «vieille ville» et à la Venise appartenant à la «limite de la lagune», celle de la périphérie et de la zone industrielle de Porto Marghera .

On y reconnaitra les architectures fastueuses du passé, les plus connues,et celles liées en particulier au passé industriel de Venise, surtout l’île de la Giudecca, dans la seconde moitié des XIXe et XXe siècles.
Ces visions nous renvoient à des précédents dans l’architecture, Aldo Rossi avec ses dessins pour la ville et pour le théâtre La Fenice, ou encore Bernard Huet avec son inoubliable couverture collage de la ville pour le magazine «L’Architecture d’aujourd’hui » en 1980.
La Venise utopique de Philippe Calandre nous fait voyager entre les îles de la lagune, entre les couleurs d’une Venise imaginaire, une reconstruction qui nie la destruction progressive des formes dans l’eau.

Ses images sont une énigme, un sentiment d’atemporalité oscillant entre irrationnel et formel émanent de ces lieux.
Venise est énigmatique et selon les mots de Maria Zambrano (cfr. “Dire Luce”, a cura di Carmen del Valle, ed Bur Rizzoli 2013)
– «peu importe ce qu’il se passe à Venise, quel que soit la confusion, l’anomalie ou le talent, tout entre immédiatement dans l’ordre, tout est assimilé, il n’y a pas d’avant et pas d’après, il y a un TOUJOURS qui recueille tout.»

C’est ce que l’on ressent dans les œuvres de Calandre, qui donnent de la lumière et de la couleur à la ville, comme dans une filiation à la fois avec la grande tradition picturale des Écoles de peinture vénitiennes et des vues pittoresques, les « vedutes » colorées sur le verre pour les voyageurs de passage.

Enfin, le travail de Philippe Calandre est une œuvre photographique et picturale ouverte sur le futur proche de Venise et sa périphérie.

Corinne Peuchet, Historienne de l’Art