ARTIST STATEMENT
CONTACT
Élans des corps, mains tendues, tentatives d’étreintes : ces peintures nous montrent des personnages désireux d’entrer « en résonance avec le monde ». Selon cette idée chère au philosophe Hartmut Rosa, ils sont à la fois animés d’un élan vers le monde et les autres, mais aussi réciproquement disposés à être touchés par eux, ouverts à ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent, ce qu’ils ressentent.
Contact, dans l’intensité de nos amitiés et de nos désirs.
Contact du corps immergé qui retrouve la nature.
Contact stimulant, sensuel, intellectuel, dans l’expérience de l’art.
Contact, entre le corps de l’artiste et la toile.
Contacts, comme autant de pistes pour mieux habiter et réchauffer nos existences.
En choisissant de peindre les liens de l’intime, les moments de contemplation et d’introspection, l’amour de la musique et de la peinture, Chloé Tiravy défend « ce qui n’a pas de prix ». Face à la « désensibilisation » de nos sociétés, dénoncée par la penseuse Annie Le Brun, ces figures auréolées de pigment veillent sur nos passions : gardiennes de notre capacité à nous émouvoir, sentinelles du sensible.
Jérémy Liron, parrain littéraire de cette exposition, écrit :
« Chloé Tiravy regarde le monde non en visant son motif comme pour s’en emparer ou le dominer, mais presque en fermant les yeux, et en se délivrant de cette violence prédatrice jusqu’à participer, comme aveugle, désarmée, oublieuse de tout savoir, à la totalité invisible du tout. Il ne s’agit pas de capturer mais de recevoir, de témoigner du monde, non pas de se vouloir soi-même devant celui-ci, mais de s’oublier pour qu’il advienne. »
Dans ces grandes compositions chorégraphiques, marquées par la peinture Renaissance et maniériste, les couleurs éclatantes semblent tempérées par le règne d’un silence plus inquiet : « Chloé Tiravy offre à ses proches de jouer dans ses tableaux des rôles obscurs et dont la présence se suspend alors au seuil d’un éloquent silence. Flottent autour d’eux les souvenirs des films de Pasolini… Les protagonistes de la toile Du bruit au-dedans rappellent à la mémoire La Visitation de Pontormo étirée et dramatisée dans The Greeting par Bill Viola. », relève Jérémy Liron. « Vous avancez en longeant ces tableaux comme à travers un rêve étrange. Il vous semble avec Baudelaire sinuer dans un temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles, des forêts de symboles vous observant avec des regards familiers.
« Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »
Malgré le regard profondément mélancolique des joueurs de cartes, malgré cet autoportrait gisant nous tournant le dos, c’est bien la Philia, cet amour-amitié défini par les Grecs, qui semble être pour l’artiste le point de départ d’un réenchantement du monde. Philia, ou l’amitié, conçue comme puissance de se réjouir en aimant, comme une force nous permettant d’exister plus, et d’exister mieux.
Chloé Tiravy revendique une peinture généreuse, et défend son droit au sentiment , à la poésie, à la narration.
Sa pratique, en atelier mais aussi in situ, s’incarne dans des toiles de grand format peintes à l’huile. Cette approche parfois monumentale de la peinture, trouve un contrepoids dans une pratique intimiste du portrait et de l’autoportrait, qu’elle développe en parallèle.
Loin d’une froide restitution de la nature ou de l’espace social, ses toiles nous montrent au contraire la représentation d’une vérité intérieure : un réalisme des sentiments et des mouvements de la psyché. Paysages, êtres, couleurs sont modifiés par l’oeil intérieur; le visible y subit une distorsion par l’effet puissant des sensations intimes.
Mais le tableau est avant tout le lieu d’une réflexion sur la peinture elle-même: une peinture qui s’offre au spectateur dans la vérité de son élaboration, et qui nous donne à voir les différentes temporalités de sa construction : les traits liquides de dessin préparatoire, les premiers jus transparents, les morceaux encore visibles de mise au carreau, côtoient sur la même surface des corps au réalisme plus affirmé. La juste cohabitation du fini/non-fini détermine l’équilibre de ses compositions.
Attirée par la force de la couleur dans le tableau, elle s’interroge sur la mise en oeuvre de son intensité, de sa lumière, de sa saturation, de ses débordements au-delà de la forme et du trait dessiné. Les aplats colorés, la gestualité, accompagnent et bousculent les figures dans l’espace. La frontière entre figuration et abstraction se fait de plus en plus ténue, pour mieux repenser l’imbrication du corps et du paysage, aller à l’encontre de leur simple juxtaposition, et travailler leur rapport de force.
L’expérience de la solitude, la restitution de la dignité, la tentative de réconciliation entre l’humain et son environnement, sont les problématiques humanistes de cette peinture, à la fois contemporaine et romantique.