POINTS DE VUE


Avec Fragments, la galerie est heureuse de présenter la première exposition personnelle de Fabien Yvon.

L’artiste réunit pour la première fois un ensemble de peintures, de dessins et d’eaux-fortes, technique qu’il a pratiquée et enseignée à la fin de ses études aux Beaux-Arts.

La série « Empreintes » figure les traces des corps de l’artiste et de sa compagne : dans un geste performatif ils se sont plaqués sur des toiles de taille humaine et ont appliqué de l’encre de Chine autour d’eux. Leurs empreintes agissent par là-même sur la toile à la manière d’un révélateur photographique.

Une autre dimension du travail de Fabien Yvon, constituée de gravures et de peintures nous amène à questionner l’infiniment grand et l’infiniment petit. Là où le scientifique voit un ensemble de particules très fines maintenues en suspension dans l’atmosphère, l’artiste lui regarde la lumière, les couleurs, les formes et le mouvement. Ces peintures, telles des boîtes de Petri, sont le résultat d’expériences picturales qui mettent en lumière les propriétés des matériaux utilisés.

Enfin, une sélection de nouvelles œuvres issues de son projet le plus connu « Paysages intérieurs » est exposée. Il s’agit dans cette série, de développer l’idée « d’image mentale » : l’artiste ne se sert d’aucun support visuel existant, il tente d’explorer les différentes strates d’un imaginaire à la fois personnel et collectif.

Fabien Yvon commente « Les images que je dessine ne sont pas les mêmes que celles que je peins ou imprime. Ce va-et-vient permanent entre les différents médiums m’est nécessaire. Cela m’amène à me questionner sur le rapport que j’ai avec chacun, et ce que j’en fais. »

Olivier Waltman
Paris, avril 2023


ARTIST STATEMENT


A propos des paysages

Les peintures, gravures et dessins de Fabien Yvon sont avant tout des images mentales. C’est dans le moment de la fabrication que se mêlent souvenirs d’expériences vécues, paysages observés en conduisant, et souvenirs d’œuvres. Richter, Turner, Boudin, ou même Victor Hugo, rencontrés sur les murs des musées ou entre les pages des livres, nourrissent les souvenirs de paysages vus. Des photos prises en conduisant, jamais utilisées directement, ont la même fonction de saisie et d’accumulation de strates.

Les paysages naissent de la rencontre de ces images mentales et des traces que laissent certains gestes techniques. Pinceau, chiffon, essuie-glace, règle en plastique, lave-vitres, ou tout autre objet à proximité permet de tirer la peinture sur la toile, fouetter, éponger, effacer, racler. L’aléatoire laisse des marges, des surprises, le support permet les reprises. Pour les gravures et les dessins, les gestes sont plus précis, anticipés et dessinés avec une certaine maîtrise. L’outil exige plus de précision en laissant toujours une marge d’indécision. La connaissance d’un médium nourrit la relation à un autre.

Totale absence d’architecture, ou de trace humaine, c’est le mot paysage pourtant, qui structure ces compositions. Souvent deux parties horizontales, plus ou moins distinctes, sans certitude d’échelle, où le ciel peut devenir mer. Parfois, l’image est plus nette, la projection se fait plus précise et pourrait inciter à voir la saisie d’un paysage vu, voire reconnu. Le vocabulaire usuel, montagnes, nuages, effet minéral ou aquatique, vient rencontrer les matières, hachures, points, effets de superpositions, et les assemble dans l’unité d’une évocation de paysage presque précis.

 


 

A propos du geste imprimé

« Ce qui m’intéresse dans le noir n’est pas tant la raison de son utilisation que la surprise de son résultat. Jouer du décalage entre la mise en scène du travail et ce qui en reste en termes de traces, empreintes, impressions. Parfois à la limite de la lisibilité entre l’action et la production, le processus et sa théâtralité permettent de sortir de l’espace du tableau et de le remettre en jeu. La vidéo amène à re déterminer les liens entre l’image, l’action et l’espace de la performance. Déterminant également, le dispositif d’accrochage accentue et révèle cette réflexion du déplacement.

Nommer et titrer sont également un travail et un jeu avec les spectateurs soit en troublant encore leur réception soit en révélant les processus de production. C’est une manière d’entrer avec humour dans cet espace intime situé entre le spectateur et l’œuvre. Il s’agit aussi d’une sorte de dialogue a minima dans lequel je tente de redéfinir mon action. L’ambiguïté, le décalage sont alors assumés comme une partie du jeu.

La vidéo n’est pas tant un moyen d’enregistrer la performance de la fabrication qu’un autre moment du trouble. Parfois bien plus forte que l’objet produit et semblant disproportionnée en regard de ce résultat, elle permet de maintenir visible la mise en scène, la gestualité assumée et presque cérémonielle d’actions picturales enregistrées sur des supports. Par exemple la flèche décochée part de l’œil, en poursuit la visée et libère alors dans sa trajectoire ce qui fait peinture. »

Fabien Yvon